Nos Origines

Le Déclin de la Terre :

Lors des tout premiers siècles du troisième millénaire, la croissance démographique de la Terre se poursuivit dans des proportions stupéfiantes. Vers 2250, plus de 30 milliards d'habitants peuplaient la planète. Les scientifiques menaient une lutte acharnée contre les effets d'engorgement de la surpopulation. De gigantesques dômes réservés à l'agriculture hydroponique furent implantés un peu partout pour assurer l'augmentation exponentielle des denrées alimentaires. Des méthodes peu onéreuses de désalinisation de l'eau furent mises au point à grande échelle. Des avions sillonnaient les abords de la couronne atmosphérique afin de disperser à haute altitude des produits chimiques qui reconstituaient lentement la couche d'ozone. Malgré ces progrès, la croissance effrénée de l'humanité épuisait inéluctablement les ressources naturelles de la Terre. Il devenait impossible de maîtriser la pollution. Chaque année, des tonnes de déchets nucléaires étaient rejetés dans l'espace. La pollution atmosphérique était si critique dans nombre de métropoles que les estimations du Conseil Européen de l'Environnement établirent en 2267 qu'un citadin sur neuf mourait de maladies pulmonaires aux alentours de sa trentième année.

Des millions de gens s'installèrent dans des Arcologies dotées de systèmes de filtrage de l'air et de l'eau. Ces complexes, étendus sur une quinzaine de kilomètres carrés en moyenne, abritaient logements, commerces et centres de loisirs, de sorte qu'il était fréquent que les habitants n'en sortent pas des années durant. La répartition des richesses était devenue plus inégale que jamais, et la vie de plus en plus difficile et précaire pour la majorité de la population qui ne pouvait s'offrir la douceur et la sécurité de ces complexes d'habitation. Les criminels organisés en milices exerçaient dans certaines zones un contrôle plus efficace que celui de la police et participaient à des actions terroristes visant à détourner l'eau acheminée dans les Arcologies.

En 2314, la plupart des grandes nations de la Terre s'allièrent afin d'endiguer le raz de marée de la criminalité sur leur territoire. Le Commonwealth mondial implanta sur Io, le satellite de Jupiter, un dôme rudimentaire destiné à accueillir une colonie où seraient expédiés les criminels coupables d'actes de violence. Les forces ultra-armées du Commonwealth capturaient les criminels dans les rues et les entassaient dans des centres de traitement. Après un procès expéditif, les éléments jugés « dangereux et irrécupérables » étaient exilés à perpétuité dans la colonie pénitentiaire de Io. L'expérience connut un grand succès sur le plan politique. Le Commonwealth disposait également d'une force de police autonome qui, en 2362, constituait la plus grande armée permanente du monde. On estime qu'en 2400 près d'un million de personnes avaient été expulsées sur Io chaque année. D'autres colonies furent créées sur Callisto et Ganymède, ainsi que sur le satellite de Neptune, Triton. Si, de l'avis de certains, l'entreprise, sans grand rapport avec la justice, constituait surtout une soupape pour évacuer le trop-plein démographique, le programme n'en était pas moins très populaire et le Commonwealth ne tarda pas à représenter une puissance politique et militaire sans égale dans le monde.

C’est en l’an 2417 que l’humanité fit une découverte qui leur assurerait un avenir certain : l’expérience THOR. Un accélérateur à particule de 180km de diamètre situé en orbite autour de la lune révéla l’existence d’un élément dont les propriétés modifiaient la masse d’un objet. Soumis à un certain courant électrique, la substance d’élément Zéro (nommée ainsi car elle peut annuler une masse) génère un champ de confinement de masse qui s’étend aussi loin que l’intensité du courant traverse la substance. Avec 2mg d’élément Zéro, on était ainsi capable d’annuler la masse d’un vaisseau de cargaison de plusieurs millions de tonnes. Depuis Einstein, aucune masse positive ne pouvait atteindre voire dépasser la vitesse de la lumière, cette barrière fut enfin à la portée de l’humanité ainsi que la colonisation de nombreuses planètes extrasolaires déjà découvertes par télescope.

L'Ère des Pionniers :

La colonisation interplanétaire, cependant, était une affaire dangereuse et ardue, rares étaient les citoyens prêts à affronter les dangers de la colonisation. L’incident survenu lors d’une éruption solaire de l’étoile Rigel dans la constellation d’Orion surchargea les moteurs subliminiques d’un vaisseau d’exploration dans le système et causa une explosion violente qui tua la totalité de l’équipage scientifique. Le président suppléant du CW, Edward Varen, négocia un arrangement avec les résidents des quatre colonies pénitentiaires. S'ils partaient à la recherche de nouvelles contrées à coloniser pour le compte des habitants de la Terre, les prisonniers recouvreraient en échange leur liberté. Interchangeables, les prisonniers étaient en outre habitués à vivre dans le hors-monde. Le recours aux prisonniers du hors-monde était loin d'être populaire, mais les Terriens étaient prêts à prendre les mesures les plus radicales. Varen prit conscience que le contrôle du seul auxiliaire de colonisation dont disposait la Terre, ajouté à l'influence politique et militaire qu'il exerçait déjà, placerait le CW en position de souveraineté quasi absolue. Il n'avait par ailleurs aucune intention de libérer les prisonniers. Il savait en effet que jamais les sociétés des colonies terriennes ne les accepteraient et qu'ils étaient trop indépendants et organisés pour qu'on leur attribue une planète. Contre toute attente, ils s'étaient montrés plein de ressources dans les colonies pénitentiaires. Au lieu de sombrer dans la violence et le chaos comme on aurait pu l'imaginer, ils avaient mis en place, dans la limite des moyens à leur disposition, des communautés efficaces et productives. Varen savait que cela ferait d'eux d'excellents pionniers, mais il était également conscient qu'ils représenteraient une menace pour le CW s'ils accédaient à l'autonomie.

Les prisonniers colonisateurs, officiellement constitués en Corps d'Exploration, embarquèrent à bord de gigantesques vaisseaux cargos de la taille d'une grosse ville, chargés de provisions, d'équipement robotisé d'élaboration de terre, ainsi que du matériel génétique suffisant pour recréer des éco-systèmes autonomes. Varen réduisit les provisions d'eau de façon à ce que les prisonniers périssent s'ils ne parvenaient pas à rendre leur planète habitable en quelques années. Certaines planètes s'avérèrent inadaptées à la vie humaine et le Corps d'Exploration perdit des milliers d'hommes. Pourtant une poignée de planètes furent bientôt prêtes et les premiers colons terriens purent prendre possession de leurs nouveaux habitats. Les hommes du Corps d'Exploration, lorsqu'ils en avaient fini avec une planète, étaient relevés pour être acheminés vers une nouvelle. Le CW s'installait ensuite sur chacune des planètes colonisées afin de s'établir comme entité de gouvernement et de maintien de l'ordre. L'administration du CW plaçait également sous son autorité le contrôle de la distribution et du rationnement de l'eau. Étant donné que certaines planètes manquaient de sources d'eau potable pour approvisionner leur population, celles qui disposaient d'excédents étaient réquisitionnées. En fait, l'eau était loin de manquer, mais en contrôlant sa distribution le CW disposait d'un moyen de pression terriblement efficace sur les gouvernements de chaque planète. Aussi le CW commença-t-elle à stocker les surplus d'eau dans d'immenses citernes de la taille d'astéroïdes placés en orbite autour de nombreuses planètes encore non-développées.

Le Corps d'Exploration s'aventurait toujours plus loin dans la galaxie, et l'humanité à sa suite, prête à s'immiscer dans la moindre brèche ouverte par le Corps. Affamée par des siècles de restriction d'espace et de ressources naturelles, la race humaine dévorait la galaxie. En l'espace d'une génération, une centaine de planètes furent colonisées. Au bout de la deuxième génération, mille colonies étaient peuplées. Le CommonWealth s'auto-proclama gouvernement galactique officiel et prit le nom d'Empire. Si certaines planètes s'irritèrent de la domination de l'Empire sur les réserves d'eau, aucune d'elles ne le défia.

Les Yeux Noirs :

En 2507, une mutinerie éclata à bord d'un croiseur de l'Empire à destination d'un nouveau site de colonisation, et les prisonniers du Corps d'Exploration prirent les commandes du vaisseau, abandonnant l'équipage sur une planète non-développée. Les dissidents trouvèrent ensuite refuge sur une planète proche, Shodan, dont la population était lasse des ponctions toujours plus importantes que l'Empire imposait sur leurs réserves d'eau. L'Empire dépêcha rapidement une flotte sur la planète rebelle afin de déterminer dans quelle ville le vaisseau détourné avait atterri. Trois régiments d'infanterie impériaux débarquèrent et s'emparèrent de la cité. Le vaisseau fut repéré et les hommes qui en assuraient la garde contraints sous la torture à révéler l'endroit où se trouvait le reste de leur unité. Les autres membres du Corps furent pourchassés et exécutés en public. L'Empire préserva la ville mais maintint une force importante sur Shodan et diminua de moitié les rations d'eau de la planète.

Le Directoire de l'Empire, craignant que des incidents similaires ne se reproduisent, décida de se donner des moyens plus efficaces de contrôler le Corps d'Exploration. Les généticiens de l'Empire avaient mis au point des enzymes qui pouvaient être programmés de façon à ce que, une fois injectés dans le sang, ils puissent scinder et modifier le code ADN de toutes les cellules d'un organisme. Les membres du Corps d'Exploration avaient été périodiquement soumis à des injections de ce type afin d'améliorer leur immunité aux bactéries et organismes microscopiques étrangers qu'ils risquaient de rencontrer lors de leurs expéditions de colonisation. Suite à l'incident survenu sur Shodan, un programme plus ambitieux mit au point une nouvelle souche génétiques destinées à créer, au niveau du cerveau, une horloge chimique programmant l'arrêt des fonctions vitales lors de la vingt-cinquième année du sujet traité. Ces agents furent systématiquement inoculés dans l'organisme des membres du Corps d'Expédition, en même temps que les traitements immunitaires classiques. Ces modifications du code génétique avaient par ailleurs pour conséquence d'altérer la couleur des yeux du sujet en les rendant complètement noirs. L'Empire disposait ainsi d'un moyen très simple d'identifier les membres du Corps d'Expédition et de leur interdire tout espoir d'évasion. En outre, leur mort programmée à vingt-cinq ans vouait à l'échec toute tentative de rébellion envisagée sur le long terme.

Le succès de cette entreprise dépassa les prévisions. En quelques décennies, les prisonniers du Corps d'Expédition, que l'on se mit à désigner sous le nom des « Yeux noirs », finirent par se croire victime d'une malédiction. Aucune autre manifestation de violence ne fut enregistrée, et les Yeux noirs abandonnèrent tout espoir de recouvrer un jour leur liberté. À mesure que la colonisation de la galaxie devenait moins risquée et moins vitale, les Yeux noirs, qui étaient à présent considérés comme une caste distincte du reste de la société humaine, furent affectés aux multiples corvées domestiques nécessaires à la vie humaine. Avec le temps, nombre d'Yeux Noirs finirent par croire qu'ils ne méritaient pas d'être libres.

L'Aube de la Guerre :

À la fin du vingt-sixième siècle, un garçon extraordinaire, Vladimir Radec, naquit de parents Yeux noirs, mais affecté par une cataracte de naissance, le signe distinctif de coloration des yeux n'étaient pas présent. À cinq ans, Radec parlait sept langues et était déjà versé dans de nombreuses sciences. À l'approche de leur vingt-cinquième année, les parents de Radec convainquirent un illustre lettré, qui était sensible au sort cruel des Yeux Noirs mais lui même non atteint, de se charger personnellement d'élever le jeune garçon. Cela seul permettrait à l'enfant de poursuivre son éducation. À l'âge de dix-neuf ans, Radec était devenu un chercheur accompli dans le domaine de la génétique. S'il n'en avait jamais rien dit à son père adoptif, ses études étaient en fait motivées par la volonté de découvrir le fondement génétique de leur « malédiction ».

Radec finit par identifier les enzymes spécifiques responsables des modifications de l'ADN. Il en déduit que ces agents avaient été conçus par l'homme et délibérément inoculés aux Yeux noirs. Cependant, à vingt-quatre ans révolus, Radec craignait de ne pas parvenir, au cours de sa dernière année d'existance, à découvrir le moyen de contrer ces gènes spécifiques. Il redoutait également que ses recherches soient détruites si l'Empire venait à les découvrir. Aussi décida-t-il de rendre ses découvertes publiques le 17 Juin 2598, dans l'espoir que d'autres scientifiques soutiendraient ses efforts ou même que la révélation de la responsabilité de l'Empire contraindrait celui-ci à libérer son peuple de cet esclavage génétique.

Dans la semaine qui suivit cette déclaration, Radec, son père adoptif, ainsi que tous ceux qui avaient été associés à cette recherche, trouvèrent la mort. Cependant, la nouvelle se répandit et des soulèvements ponctuels ne tardèrent pas à se déclencher dans toute la galaxie. Les Yeux noirs reçurent le soutien de nombreuses planètes. Pour certains, les Yeux noirs étaient des pionniers qui avaient permis à l'humanité d'échapper au sort qui la liait à la Terre. D'autres jugeaient parfaitement inutile de les maintenir dans leur condition d'esclave. D'autres encore entrevoyaient l'opportunité de rejeter le joug de l'Empire. Les vaisseaux de guerre de l'Empire furent détournés, les complexes sabotés, les convois de ravitaillement en eau capturés. Plusieurs planètes, y compris Shodan, se lancèrent à corps perdu dans la révolte. Peu à peu, la rébellion s'organisa et, en l'espace d'une décennie, les Yeux noirs formèrent une redoutable armée révolutionnaire. Sous le nom des « Gardiens de la liberté », ils coordonnèrent l'action d'une centaine de planètes insurgées afin d'unifier leurs efforts. Bien que défavorisés en termes d'effectifs, de moyens technologiques et de positions stratégiques, les rebelles surent tirer profit des proportions gigantesques du territoire de l'Empire. Les Gardiens de la liberté portaient leurs coups contre des cibles stratégiques sans interrompre leur progression, évitant soigneusement d'affronter la formidable machine de guerre de l'Empire. Au terme d'années passées à tenter de refouler la vague insurrectionnelle, l'Empire se retrouva confronté à une véritable guerre civile.

Le Dessicateur :

En 2618, le général impérial Igor Strogov consulta le Directoire de l'Empire afin d'obtenir l'autorisation de mettre au point une nouvelle arme. Lassé de poursuivre des unités réduites des Gardiens de la liberté d'un bout à l'autre de la galaxie pour leur tendre des embuscades sans conséquences, il était à la recherche d'un instrument puissant capable de changer le cours de la guerre. En fait, les scientifiques à qui il avait confié la conception de nouvelles armes avaient déjà inventé une arme chimique dévastatrice : un composé catalyseur qui scindait les atomes d'hydrogène des molécules d'eau. Le composé incorporait ensuite les atomes d'hydrogène libérés, ce qui lui permettait de se reproduire et de continuer à diviser les molécules d'eau avec lesquelles il entrait en contact. Afin d'augmenter le potentiel de la réaction en chaîne, pour une désintégration à plus grande échelle, le composé devait être propulsé depuis l'espace à grande vitesse. Afin d'être sur que la réaction se déclenche, il fallait ajouter du deutérium dans la composition. On pouvait soumettre au même effet les molécules d'eau présentes dans l'atmosphère ainsi que l'eau contenue dans les organismes vivants. Une seule molécule du composé était ainsi susceptible de consumer toute l'humidité d'une planète en l'espace de quelques minutes.

Le Directoire hésitait à développer une arme ayant pour fonction de détruire ce dont dépendait son pouvoir (l'eau), mais Strogov lui donna l'assurance que le Dessiccateur ne serait utilisé qu'une seule fois. Il prétendait en effet qu'il lui suffirait de faire la démonstration de sa puissance pour que les Gardiens de la liberté fléchissent. Il prévoyait en réalité d'utiliser cette arme pour prendre le contrôle de l'Empire. Seul aux commandes du Dessiccateur, le Directoire n'aurait d'autre choix que de se soumettre à son autorité. Le Président du Directoire savait que Strogov disposait de cette nouvelle arme grâce aux taupes qu'il avait infiltrées au sein de l'appareil de Strogov. Il soupçonnait également le général de nourrir des intentions malveillantes, mais il lui fallait un homme pour mettre un terme à la guerre et il savait que Strogov était le meilleur pour mener à bien cette tâche. Si Strogov était un tacticien rusé et efficace, c'était en revanche un politicien prévisible.

Le 17 Juin 2618, les Gardiens de la Liberté se réunissaient sur Shodan, leur colonie principale, afin de commémorer le travail de Radec. C'est à ce moment que Strogov décida de frapper avec sa nouvelle arme de destruction massive. Dans un souffle effroyable, la totalité de la surface de la planète était littéralement asséchée et la population désintégrée. Un spectacle terrifiant auquel certains Yeux Noirs en fuite dans des frégates furtives, dont je commandais la flottille, ont du participer.

Ce qui restait des Gardiens de la liberté s'envola avec l'eau de Shodan, mais la paix fut bien trop coûteuse. La nuit de l'attaque, Strogov fut retrouvé dans sa baignoire vide, complètement désintégré. Bien qu'il n'y eut aucune preuve d'assassinat, il ne fut aucun doute que le catalyseur dont il usa et abusa eut raison de lui.

Au contraire de ce à quoi s'attendait l'Empire, le massacre sur Shodan engendra de nombreux soulèvements dans la galaxie, et ce malgré l'efficace censure du Directoire. Sous les incessantes menaces, et inefficace pour contrer les frappes internes fomentées par les Gardiens de la Liberté, le Directoire était en pleine discorde. Après 200 ans de colonisation et d'exploitation, l'Empire était pour la première fois devenu fragile et de nombreuses factions dissidentes proclamaient leur indépendance, le déclin de l'Empire fut dés lors inévitable. Aujourd'hui, il ne reste plus rien de l'Empire, et afin que personne n'oublie jamais la catastrophe sur Shodan et l'avidité de l'homme, le Dessicateur fut exposé sur cette dernière, après avoir été rendu inutilisable.

Nous sommes ce qu'il reste d'une civilisation qui autrefois prospérait, nous sommes les pionniers de l'exploration spatiale, nous sommes les survivants d'un cataclysme, nous sommes l'héritage d'une civilisation maudite, condamnés à une vie réduite.

Nous sommes, les YEUX NOIRS.